"T'es pas autiste, t'es normale"

Publié le par Luserina - Le Temple Bleu

"...enfin, c’est mon avis."

*Applaudissements*. Quelle fine analyse! Plus efficace que l’Aspie Quiz qu’une équipe pluridisciplinaire du CRA débattant de longues heures autour de 25 tests, plus fiable qu’un test de grossesse, plus prometteuse que la thérapie génique, plus rapide que la confection d’un double cheese en période creuse, on a trouvé LA solution à la grande énigme de l’autisme, celui que le monde entier attendait : TON AVIS éclairé sur la question doublé d’un regard on ne peut plus expert, le tout aussi limpide qu’indiscutable. Simon Baron Cohen, Laurent Mottron et Tony Attwood n’ont plus qu’à remballer leurs diplômes et leurs recherches, archivons donc tous leurs écrits et batteries d’évaluation, puisque TON AVIS remplace visiblement leurs années d’expertise.

 

Remettre en question de la sorte le diagnostic d’une personne que l’on a du voir en tout et pour tout l’équivalent d’une demi-journée dans sa vie me dépasse. Qu’une personne plus proche le fasse, c’est déjà limite, parce que quoi qu’il arrive, on ne vit jamais ni dans la tête, ni dans le quotidien d’une personne à moins de partager vraiment sa vie H24 et de l'avoir vue grandir, donc on n’a toujours qu’un fragment de ce que l’autre veut bien ou est en mesure de nous montrer au moment où l’on passe du temps avec elle, mais venant d'un quasi inconnu, c'est quand même incroyable. D'ailleurs, remettre en cause le diagnostic d'une personne tout court me dépasse, à moins d'être habilité à le faire. Et même dans ce cas, il y a des manières de le faire.

 

Plus important encore, un diagnostic d’autisme est basé sur le développement d’une personne. Personne que l’on a a priori pas connue (à moins d’être un proche parent et de ne pas s'être voilé la face) tout au long de son développement atypique et dont on a pas vu l’évolution.
Ce que l’on voit d’une personne autiste adulte, c’est un cliché à un instant T. L'on voit le résultat le plus récent de son évolution, de la façon dont elle a pu ou non masquer la plupart de ses particularités. L’on ne voit pas le déroulement de sa vie (ou alors on est médium clairvoyant, mais ça c’est une autre histoire), l’on ne voit pas qu’elle s’est développée différemment, qu’on la disait anormale, atypique, l’on ne voit pas que les relations sociales ont été difficiles pour elles ni à quel point elle continue parfois d’avoir du mal à comprendre comment ça fonctionne. L’on ne voit pas qu’elle n’a jamais vraiment compris comment ça fonctionnait d’ailleurs. On ne voit pas comment elle perçoit le monde, comment son cerveau traite de façon atypique ce qui résulte de ses cinq sens. On ne voit pas la réflexion qu’il y a derrière le paraitre. Qu’elle ne comprend que la moitié de ce qui se passe à ce fameux instant T, peut être même moins, et qu’elle donne le change comme elle le peut. Qu'elle n'est absolument pas en confiance et qu'elle est incertaine quant à chacun de ses gestes ou de ses mots. Qu'une grande partie est calculée. Visiblement bien, puisqu’elle est dite « normale ».
Nous autres adultes autistes souvent dits « à l’extrémité du spectre autistique », avons l’habitude de ces phrases. Elles sont censées nous « rassurer », entend on. "Ça part d'un bon sentiment". Sans doute, hélas, parce que lorsque l’on dit à la personne en face que l’on est autiste, cette personne pense qu’on se « dévalorise », que c’est une autre « façon de parler », parce qu’être autiste, c’est « un peu une insulte quand même ». Alors que c’est un simple fait. Nous sommes autistes. D’ailleurs il n’y a rien de dévalorisant ni d’insultant à être autiste. Donc sous entendre que ça l’est, en soi, c’est déjà blessant.
De plus, si je te dis que je suis « autiste » alors qu’en fait je suis « normale », cela fait de moi une menteuse ou une imposture. Or comme j’ai un diagnostic officiel (que tu n’es certainement pas apte à délivrer), de fait, je ne te mens pas. Ta phrase m’est donc perçue comme une grave contradiction voire une injustice. Et ça, ben ça me fait partir en vrille.

Alors sois gentil, reconnais simplement que tu n’y connais rien et que je ne corresponds pas aux idées fausses que tu te fais sur le sujet.

 

Publié dans Anecdotes

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