L'autisme au cinéma

Publié le par Luserina

Vous vous en doutez, l'autisme exposé en tant que tel, en thématique centrale au cinéma est un fait relativement récent. Elle ne commence pas tout à fait avec Rain Man, mais avec deux autres films. Sorti quatre ans auparavant (1984,) Mario, un film québecois, traite de l'amour fraternel entre deux frères dont l'un des deux est porteur d'autisme, les deux évoluant au sein d'un monde « imaginaire ».

Amour fraternel et autisme sont également les thèmes centraux de Rain Man , sorti en 1988, film inspiré d'une histoire vraie : celle de Kim Peek, autiste atteint du syndrome SAVANT et non d'Asperger, beaucoup de personnes ayant fait l'amalgame entre les deux conditions. D'ailleurs, si quelqu'un connaît l'origine précise, l'épicentre de cette confusion, qu'il n'hésite pas à me la communiquer en commentaire, ça m'intéresse !

L'autre film, sorti entre les deux, s'appelle La tête dans les nuages (The Boy Who Could Fly en version originale.) Sorti en 1986, il est ici question d'une amitié entre une non autiste et un autiste.

Plutôt timide dans la décennie suivante, c'est surtout dans la deuxième moitié des années 2000 que le sujet commence réellement à prendre de l'ampleur dans le monde anglo-saxon, ce qui engendre de nombreux films :

  • Adam (2009)

  • Crazy In love (Soit : « Mozart and the Whale », « Mozart et la Baleine » au québec) (2005)

  • Ben X (2007)

  • Nicole et Martha (Dancing Trees) (2009)

  • Mary et Max (2009)

  • Autism is a World (2004)

  • Temple Grandin (2010)

Pour ne citer que les exemples que je connais.

En Inde, un film notable sur le syndrome d'Asperger voit également le jour : My Name is Khan (2010)

Dans les années 2010, on notera dans la continuité :

  • Le monde de Nathan (2014)

  • The Story of Luke (2012)

  • Imitation Game (dans une moindre mesure, à travers l'histoire d'Alan Turing) (2014)

ainsi que les séries, format alors en plein essor: Touch, Sherlock, The Big Bang Theory, the A word, entre autres.

En France, le sujet reste confidentiel. Il s'illustre surtout à travers des documentaires poignants, relativement récents, accusateurs de la situation catastrophique que l'on connait bien concernant l'autisme sous toutes ses formes: Elle s'appelle Sabine de Sandrine Bonnaire (2008), Mon fils, un si long combat d'Eglantine Emeyé (2014), Le cerveau d'Hugo de Sophie Révil (2012) et le fameux Le Mur, l'autisme à l'épreuve de la psychanalyse, de Sophie Robert (2011).

Cela étant, l'on peut ajouter à la liste des films français traitant du sujet Le Gout des Merveilles, une fiction sur le syndrome d'Asperger, sortie (seulement...) en 2015, ainsi que tout récemment, Dernières Nouvelles du Cosmos et Le monde de Théo, qui sont quant à eux davantage des tranches de vie réelles que des fictions mettant en scène un protagoniste principal autiste. Ce « retard cinématographique » en dit long sur la place qu'occupe la question de l'autisme dans notre société...

Je pourrais faire l'éloge de Temple Grandin, de Mary and Max ou de My Name is Khan mais j'ai choisi de vous parler ici de trois films qui m'ont particulièrement marquée, pour différentes raisons :

Adam, Le Goût des Merveilles et Mozart & The Whale.

Adam est le premier film que j'ai vu traitant d'autisme, au moment de sa sortie en 2009 et probablement celui via lequel j'ai pris connaissance de l'autisme tout court. C'est ma meilleure amie qui me l'a montré un soir où j'étais en visite chez elle. Cette amie me soupçonnait depuis notre premier contact d'être concernée par une forme d'autisme. Pour observer ma réaction, elle m'avait alors montré ce film. Je ne l'ai appris qu'il y a quelques jours...

A cette époque là, il ne me semble pas avoir ressenti une quelconque identification personnelle, bien que j'eusse trouvé le personnage d'Adam particulièrement...attirant (pas qu'une question d'hormones en ébullition, je vous arrête tout de suite haha!) Je me sentais proche de lui, quelque part, et quelques unes de ses réactions me parlaient de façon lointaine. Par exemple, je me reconnaissais un peu dans sa logorrhée autour d'un sujet et dans ses crises. Mais comme j'étais aveugle, loin de moi l'idée de me considérer, comme lui, porteuse du syndrome d'Asperger.

Bref. En le revisionnant plusieurs fois quelques années après, consciente et à quelques mois du diagnostic, j'ai pu noter quelques éléments intéressants :

Dans la deuxième moitié du film, Adam se présente à Beth en tant que porteur du Syndrome d'Asperger, de cette façon : «Je suis fait ainsi. Mon cerveau fonctionne différemment des NT ». NT pour neurotypiques donc (ici, non porteurs d'autisme.) Nous sommes en 2009. Sur la plupart des groupes Facebook traitant du SA, dont je fais partie, ce terme est allègrement utilisé, mais il me semble que le phénomène est plutôt récent en France, fréquemment mis en lumière par les porte parole de l'autisme. J'ai donc été surprise d'entendre ce terme, plutôt « actuel », dans un film sorti il y a plus de huit ans.

Plus généralement, bien que le personnage d'Adam, forcément quelque peu caricatural du simple fait qu'il soit interprété par une personne non-autiste et à destination de personnes non-autistes, je l'apprécie beaucoup, ainsi que le message global du film. Il véhicule une idée d'évolution possible, non d'enfermement définitif dans un état d'aliénation (comprendre aliénation au sens étymologique d'« autre », « mis à part »). Alors qu'Adam manifeste tout au long du film des difficultés bien connues de nous autres, le fameux « j'ai du mal à savoir ce que les autres pensent », ainsi que d'ordre relationnel/sensoriel, a.k.a le blocage et l'anxiété extrêmes à l'idée de se rendre à une soirée imprévue avec des inconnus, en fin de film, lorsqu'il évolue dans un milieu en parfaite adéquation avec ce qu'il est (un milieu calme où il peut observer les étoiles et parler de ses intérêts spécifiques sans être jugé), ces difficultés s'amenuisent (tout comme les miennes s'amenuisent en présence de passionnés d'un intérêt spécifique x ou y, dans un environnement qui me correspond ou en présence d'autres aspies/HP) : il aide spontanément une collègue à porter ses colis sans qu'elle ne lui signifie quoi que ce soit, tandis qu'en début de film, lors d'une situation similaire (Beth porte ses courses = elle sous-entend à plusieurs reprises et avec insistance qu'elle a besoin d'aide) il ne réagit pas. Sans doute absorbé, en addition à ses difficultés spécifiques, par : les bruits, l'ambiance urbaine + son activité en cours + des émotions/pensées envahissantes. Lorsqu'il est invité par des collègues/amis, il y répond de façon positive sans manifester d'angoisse. Enfin, lorsqu'il lit le livre dédicacé par Beth, il manifeste de nombreuses expressions faciales d'ordre émotionnelles. Beth le dit d'ailleurs elle-même : « nous en avons fait, du chemin... » Je trouve cette conclusion à la fois touchante et authentique. Ce film dit que le progrès et l'intégration sont possibles, plus encore si l'environnement s'adapte AUSSI à la personne. Il est bilatéral. Mais à bien y penser, ceci est valable pour toute personne. Enfermez à vie un « NT » allergique aux chiffres aspirant à une carrière artistique dans une agence de comptabilité et observez. Que va t'il se passer ? Il développera à la longue une dépression, des troubles anxieux sévères, voire pire... Si nous organisons notre vie en fonction de la personne que l'on est et en connaissance de cause, que l'on soit NT ou non, alors l'on évoluera forcément pour le meilleur et l'on exprimera notre plein potentiel.

Adam n'a pas changé du tout au tout, il n'est pas « guéri » (grrrr... j'y reviendrai!) Il est toujours Asperger. Mais l'environnement dans lequel il évolue est « aspie-friendly », il n'est plus en contradiction avec lui-même, l'environnement ne constitue plus un problème envahissant. Adam est à l'abri de toute surcharge, ce qui lui laisse alors l'opportunité, la « place », de progresser sur d'autres sphères (sociale, émotionnelle notamment.) On en est TOUS capables, pour peu qu'on bénéficie du soutien et de l'environnement adéquats et surtout, RESPECTUEUX de qui l'on est...

 

 

Dans Le Goût des Merveilles, bien que ce film soit une très belle et louable tentative d'exposer à la française le même sujet (images magnifiques, musique très agréable,) à première vue, je ne peux m'empêcher de tiquer face à la liste sans fin de clichés : Le personnage est un véritable recueil de TOUS les signes, rattachés à tort ou à raison au syndrome d'Asperger. L'on retrouve allègrement : le visage quelque peu figé, la voix monocorde, la raideur, les TOC, les balancements, l'obsession pour les objets tournants (la machine à laver, les toupies etc.,) toutes les particularités sensorielles possibles (bruits, toucher, douleur...) la faculté de retenir les livres par cœur « à la Rain Man », le profil de hackeur de génie surdoué en mathématiques, les décimales de Pi, les performances aux échecs, les nombres premiers associés à des formes (sans doute un hommage à Daniel Tammet,) ajoutons à cela une peine à purger, le tout dans la menace de se voir interné en psychiatrie si son bilan psy révèle qu'il est « inadapté/irresponsable » (sans commentaires...) Je ne dis pas qu'aucun aspie ne pourrait se reconnaître dans ce portrait. C'est faux. Mais étant moi même aspie et en connaissant quelques uns... je ne nous retrouve pas entièrement. Ni dans le personnage, ni dans le contexte juridico-psychiatrique qui l'entoure. Le personnage de Pierre est quelque peu caricatural. Adam est caricatural mais contrairement à Pierre, il ne présente pas TOUT cela à la fois, ce qui en fait un protagoniste plus représentatif. Il mêne une vie relativement normale. Il a peu de stéréotypies gestuelles (ou du moins elles ne sont pas « spectaculaires »,) les câlins ou les massages, par exemple, ne lui posent aucun problème particulier. Il n'est pas dépeint comme un Rain Man ou un phénomène de foire, mais simplement comme un jeune homme brillant/très performant dans les domaines qui le passionnent, sans rien de « surnaturel ». Il a des TOC dans son appartement (comme je peux en avoir,) mais il ne va pas aller faire le ménage chez des inconnus ni même toucher à quoi que ce soit chez eux, « à la Sheldon Cooper »…Adam est donc bien plus proche de notre réalité.

Ceci étant dit, à seconde vue, Pierre demeure très attachant et beaucoup de ses caractéristiques peuvent nous parler, même de façon lointaine. Je me suis surprise à rire à certains moments car je m'y revoyais. Seulement voilà...J'ai réagi violemment lors du premier visionnage, car ça m'agace quelque peu que l'on nous présente encore une fois le syndrome d'Asperger de cette façon là. Cela contribue à renforcer le cliché commun, comme quoi nous serions tous des génies mathématiques passionnés par le nombre Pi. Or s'il est vrai que certains Aspies sont effectivement dotés de ces facultés, c'est loin d'être une généralité. Ainsi, j'apprécierais de voir à l'écran un personnage Aspie qui aurait d'autres intérêts, d'autres facultés, histoire que le spectateur tout venant puisse au moins se dire « Ah ! Donc il y en a qui ont d'autres facultés que les mathématiques ! ».

Pour ce qui est du personnage, une évolution positive est également montrée dans ce film, ce qui constitue l'un de ses points forts.

Pierre parvient à fonder une famille, à échapper à la menace de l'internement, il conserve une activité (?) et tisse des liens avec la communauté, même si (petit bémol) son comportement global semble tout de même légèrement plus figé que dans le cas d'Adam. Un avis mitigé donc, mais qui penche indéniablement vers le positif, finalement.

Je vous conseille vivement de le regarder, d'une part pour vous faire votre propre avis, d'autre part car il s'agit de l'un des rares (voire du seul...? Corrigez moi en commentaire si je me trompe) film français non inspiré d'une histoire vraie, à traiter du SA. Et puis, cela reste un beau film. Certes agaçant par moments, mais beau, car si l'on omet les quelques maladresses (le réalisateur s'exprime au sujet du personnage de Pierre, en disant qu'il a été inspiré par un recueil d'anecdotes, d'où certainement l'abondance de traits,) il met en scène un personnage protéiforme, chez qui tout Aspi pourrait se retrouver, non pas dans la globalité, mais au moins dans une ou plusieurs de ces anecdotes retranscrites. D'autre part, la conclusion vaut le coup, car au final, sa famille d'adoption a tout autant besoin de lui, de sa personne, de ses qualités etc. que lui, d'elle.

A aucun moment dans le film, Pierre n'est présenté comme une personne « déficitaire ». Au contraire, il est présenté sous l'angle positif : quelqu'un d'honnête, de fiable, de non intéressé etc. La seule personne qui souligne sa différence dans le film se fait remballer dare dare par ces quelques mots et CA BORDEL ça fait plaisir à entendre !

A titre d'exemple, voici quelques répliques qui m'ont fait jubiler :

« Il est honnête, fiable, ne ment jamais, n'est pas intéressé par l'argent, alors oui, en cela il est différent de la plupart des gens. »

ou encore

« On a tous nos trucs pour nous aider à tenir le coup. Toi tu colles des gommettes et agites des brindilles, je ne suis pas sûre que ce soit mieux de se bourrer la gueule ou de faire le signe de croix... ». C'est BEAU purée ! Et c'est frooonçais, les amis !

 

 

Le dernier film dont je parlerais ici, est Mozart et la Baleine.

Je serai plus brève et moins dans l'analyse car me sentant très proche du personnage d'Isabelle, je ne pourrai pas être entièrement objective. Je vous dirai simplement de le regarder, car d'une part, il est l'un de ces films, aux côtés du Gout des Merveilles, qui montre que l'épanouissement est possible de même que l'adaptation sur TOUS les plans (professionnel ET affectif.) Inspiré d'une histoire vraie, il met en scène la réussite d'un couple d'Aspies sur ces deux plans (moyennant beaucoup d'efforts,) ainsi que les liens qu'ils conservent avec les autres autistes de leur groupe d'origine, qu'ils présentent comme leur famille (ça aussi c'est beau p*****!) D'autre part, il met en scène un personnage Asperger FEMININ, quelque peu éloignée du phénotype masculin, tout en étant bien diagnostiquée. Et CA, c'est important. Son truc à elle, ce ne sont pas les sciences, ni les chiffres, ni les horaires de trains. C'est la musique, la peinture et les animaux. Elle n'est pas inexpressive, bien au contraire, plutôt « explosive », excentrique et émotive. Mais hormis tout ça, elle présente bien des traits propres à l'autisme, rendus « invisibles » par ce comportement « contradictoire », par rapport à l'image que le tout-venant peut se faire du SA. Ce film est donc très important car il met en scène un morceau d'une autre réalité...Il n'est pas parfait, quelques éléments m'ont gênée sans que je puisse mettre le doigt dessus précisément, mais rien que pour les points positifs que j'ai énoncés, je le place très haut dans mon estime.

 

Dans tous les cas, même s'il constitue un outil de sensibilisation efficace, il faut garder en tête que le cinéma est une mise en scène et que de ce simple fait, il existe toujours une distorsion par rapport à la réalité qu'il s'efforce de décrire. Une distorsion influencée par : la société dans laquelle le film voit le jour, les intentions du réalisateur, le jeu des acteurs etc. Le cas de l'autisme ne déroge pas à la règle et il est donc bien dommage (voire dommageable, cf Rain Man, qui reste malgré tout un excellent film) que beaucoup de personnes ne se basent que sur ces œuvres (voire sur une seule,) pour construire leur vision de l'autisme ou de tout autre sujet ancré dans la réalité.

 

Et vous, quel film sur l'autisme vous a le plus marqué, et pourquoi ? :)

 

Publié dans Culture et autisme

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Q
Dit. Ceux que tu as vus. Comment as-tu réussi à les voir et à les trouver ?
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