Partie II - Réveiller l'enfant bleu turquoise

Publié le par Luserina

Premiers jours de stage :

 

Premiers pas dans l'établissement. Si la présentation des relations entre équipes et le défilé des entités personnelles correspondantes me laissent dans le flou, je découvre l'architecture de cet institut avec grand intérêt. Je remarque immédiatement sa symétrie et son agencement circulaire. Je lui attribue une beauté paisible...

Le stage commence alors et la réalité interpersonnelle me rattrape alors :
Confusion. Perdition. Incapacité à m'intégrer dans l'équipe. Besoin de savoir à chaque SECONDE ce que je vais faire. Isolement fréquent et salvateur. Tout en étant parfois « collée » aux formateurs, dépendante. Dualité. Paradoxe.
Focalisation sur les moindres recoins. J'apprends par coeur les localisations des jouets, le trombinoscope, je fixe les listes d'inscriptions aux formations et autres plannings... ça me détend. J'indique au personnel où se trouve le matériel, répare une armoire qu'un enfant vient de casser en quelques secondes, propose mon aide à tout le monde. Je me sens efficace/utile. Je suis fière de moi.

L'on accepte que je participe à la promenade des enfants TED. Je marche avec Jade, une petite autiste de 8 ans avec laquelle le courant semble passer. Ma présence ne la dérange pas. Elle la cherche même, on dirait...Elle se blottit parfois contre moi, en enroulant mon bras autour d'elle et ce depuis le moment où je suis entrée dans la salle d'accueil des TED. Cela ne me dérange pas. L'on marche et j'ai l'impression de savoir pourquoi elle se retourne. Pourquoi elle s'arrête. Le bruit. Alors on s'arrête, et je lui en montre la source : les voitures qui passent, deux rues plus loin. Je lui parle, lui dis que celle-ci est rouge, que c'est un rouge un peu plus foncé que la précédente, que la prochaine sera blanche... Elle regarde dans ma direction. Elle vocalise et chantonne, d'un air satisfait. Puis on poursuit la marche.

Je me sens bizarre tout à coup. L'impression qu'entre elle et moi, il y a à la fois un fossé, mais... un fossé sur une lignée commune. Je visualise cela comme deux extrémités d'un même segment. Je ressens comme une connexion. Cette marche ressemble à un chemin de croix, à une communion. C'est bouleversant. Mais je tâche de ne plus y penser. J'ai même honte d'avoir de telles pensées...
Suite à ma promenade avec Jade, j'ai d'autant plus envie de m'investir dans ce stage. Je me sens à la hauteur. Je propose mes services. Or l'on me fait comprendre que mon aide n'est pas spécialement requise car ce n'est ni "mon rôle" ni dans mon "champ de compétences" ou que sais-je. Je ne comprends pas.

Je retourne alors faire mon tour de l'établissement, en solitaire. Je tâte les murs, remarque une jolie tache blanche sur un dessin d'enfant, abstrait, imposant, d'environ 1 mètre sur 80cm, sur fond noir. La tache se situe vers le centre droit de l'oeuvre, sur une verticale de 30 cm en partant du bas. Je la regarde et la touche à chaque fois que je passe devant. Ça aussi, ça me détend.
J'essaie de saluer mes collègues, mais quelque chose ne passe pas. Elles m'ignorent la plupart du temps. Je les dérange? Ai je dit/fait quelque chose de mal? Ai je parlé trop doucement ? J'ai parfois du mal à les distinguer malgré mon focus quelque peu machinal sur le trombinoscope. Je les confonds... Je ne retiens pas très bien leurs visages. Mais j'en repère certaines grâce à leurs bijoux ou leurs cheveux. J'ai toujours aimé les bijoux et les cheveux. D'autres ont de très beaux yeux bleus. Les yeux bleus me fascinent.

L'orthophoniste et une autre collègue psychologue (?) me dévisagent en permanence. Je le sens. C'est pesant. Pourquoi... ?

De jours en jours, de minute en minute, je ressens comme un fossé qui se creuse. Je visualise un courant océanique (un peu comme dans Le Monde de Némo) qui relie entre elles les personnes qui m'entourent. Je suis la petite bulle en dehors de ce courant, exclue de son mouvement rapide et impénétrable...
D'où me vient cette vision ?

 

Veille de fin de stage :

 

Un spectacle est organisé pour les enfants de l'IME. Un spectacle de Noel. Je suis extrêmement angoissée... Personne n'est en mesure de me renseigner précisément sur le déroulement de la journée.

Une collègue, la veille, m'a dit : «Viens avec des baskets et un survet' parce que ça va être sportif ! ». Je suis donc venue en tenue décontractée...Personne d'autre n'est venu en tenue décontractée. Je comprends alors que c'était une « façon de parler »...

 

L'on m'attribue la surveillance d'un enfant de la section des petits pour la matinée. Je m'y attèle, le mieux possible. Le spectacle commence. Je suis à côté d'une enfant déficiente profonde qui n'a pas l'air tranquille...une forte odeur me laisse alors penser qu'elle vient d'avoir un accident... J'en informe donc sa responsable, qui court la changer. Il n'en était rien. Je l'ai fait déplacer pour rien. Je me sens folle et incompétente... Je comprends alors que l'odeur venait d'un enfant deux rangées plus loin... Le spectacle continue et je trouve le son bien trop fort, les lumières bien trop agressives, le contenu sans queue ni tête... J'ai alors pour réflexe de me retourner, toutes les cinq minutes avec inquiétude, en direction de la rangée des TED. Ma foi, ils n'ont pas l'air plus traumatisés que cela. Je tente alors de me recentrer sur l'enfant que je tiens dans mes bras. Il est hypotonique, à deux doigts de s'endormir, fatigué par tous ces efforts. Je tente de capter son attention, de jouer avec lui. En réalité, je tente d'oublier ma maladresse d'il y a quelques minutes, mais elle m'envahit...Je lutte. Puis le spectacle se termine et la matinée avec lui.

 

Vient le moment du repas. Pas envie...Envie de partir et de retourner manger dans MA boulangerie. Celle de tous les midis. J'ai besoin de cette pause...Je m'assiérais sur le premier tabouret de bar en partant de la gauche et y mangerais un panini 3 fromages, puis j'écouterais de la musique pendant 25 minutes avant de repartir pour le travail à l'heure pour être devant la grille 10 minutes, précisément, avant le début de l'après-midi et passer ces 10 minutes à méditer-planifier mon après midi en faisant le tour du parking. Il y a une jolie trainée d'essence près d'un 4x4. Lorsque le soleil se reflète dessus, elle en devient plus fascinante encore. Je m'arrêterais et je la regarderais.

 

Mais non. Je dois manger avec tout le monde. Le repas est réservé. Je suis censée être à la table des petits.

… plus de place ? Je panique. Je ne comprends pas. L'on m'informe d'une erreur sur la liste des invités. Je suis alors conviée à la table des TED car il y reste des places.

 

Il y a du vin. Ni une ni deux, je m'en fais servir un verre. L'alcool a cela de formidable qu'il constitue un bouclier parfait, une excuse parfaite à tout comportement déviant, lequel devient alors socialement acceptable, sous sa seule condition. Je pourrai donc dissimuler d'éventuelles maladresses derrière une montée quasiment pathologique de mon taux d'alcoolémie suite à un malheureux verre cordialement servi. Les effets ne tardent pas à se faire sentir néanmoins : ma voisine de table m'apparait alors comme une interlocutrice de qualité. Je lui souris bêtement. Elle se présente alors. Laetitia.

J'apprends qu'elle est psychologue, qu'elle est spécialisée dans les TSA. Il s'agit vraiment d'un interlocutrice de qualité...

 

Chouette alors... je vais pouvoir lui parler de ce que je sais de l'autisme, ce sujet qui me passionne tant depuis des années. Et puis tiens... et si...

...et si j'étais autiste ?
...Elle s'en rendrait compte, non ?

*déclic soudain*

et si j'étais VRAIMENT autiste... ?

C'est vrai que j'ai lu à ce propos. Je sais par exemple qu'il y a des adultes non diagnostiqués dont l'autisme est passé inaperçu. Je sais que le sex ratio est de 8 garçons pour une fille diagnostiquée car les filles sont moins bien détectées. Je sais que la précocité intellectuelle peut masquer un autisme sous jacent. Je sais qu'il existe une infinité de formes d'autisme et que ,de ce fait, son expression est loin d'être homogène.
...Et moi dans tout ça ? Ça expliquerait...beaucoup de choses ?

Comment aborder le sujet... ? Ma place d'étudiante est peut être en jeu. Me virerait-on si l'on apprenait que j'étais...autiste ? *panique* il faudrait que je sache ce que je risquerais si jamais...c'était le cas. Comment faire ?

Je sais ! Je vais lui parler d'une amie autiste Asperger qui veut se lancer dans les mêmes études que moi et lui demander si c'est possible ! C'est un schéma de conversation valide. J'ai vu ça un jour dans un film, c'est sûr. Mais lequel... ?


« Oui bien sûr que c'est possible, mais il faut avant tout que ton amie prenne confiance en elle et en ses capacités parce qu'elle en a, c'est sûr... »

 

Ouf ! Me voilà rassurée sur ce plan. Mais, une minute...cette phrase/ce regard/ce ton, cette scène tout court...Oh ça y est ça me revient !!! C'est comme dans Spider Man, lorsque Peter Parker, privé momentanément de ses pouvoirs, se rend chez son médecin pour parler de ses problèmes de façon déguisée et que le médecin lui répond de la même manière que Laetitia vient de le faire...parce qu'il a compris !

Aurait-elle compris mes intentions ?

 

Après 30 minutes de conversation (et 3 ou 4 verres de plus...) Laetitia me propose de poursuivre notre conversation dehors car « elle sent que je suis gênée par le bruit ». Oui, en effet je suis gênée par le bruit...Cette fois-ci c'est sûr, elle a compris quelque chose...

D'un seul coup, je me lâche. Je me mets alors à lui parler de ma vie, de mon enfance, de tout. Ça sort tout seul. Y compris des éléments qui sur le moment semblaient s'échapper de ma mémoire pour atterrir directement entre mes lèvres frénétiques...
Elle écoute attentivement. Des heures durant. Mon débit de parole est un flot ininterrompu. Ses questions s'orientent petit à petit...

D'un seul coup, je réalise et prends peur...pour alors répliquer, « sur la défensive » comme on dit :


«Mais tout ça... c'est la précocité intellectuelle, hein ? On me disait très précoce quand j'étais petite...»
- Non. Je pense que tu relèves d'un TSA, mais que tu as en effet un haut potentiel intellectuel associé et que tu as très bien compensé. En fait... ta façon d'être, tes mots, tes expériences... tu me fais penser à Temple Grandin. Tu la connais ? C'est une autiste célèbre, lis ses livres, tu verras ! Mais par pitié, va te faire diagnostiquer... ce serait tellement dommage de passer à côté de toi même. Tu as suffisamment tourné en rond. Je te donne mon numéro, j'aimerais t'aider...»

 

Je suis sidérée. Mais trop confuse pour réaliser encore ce qui vient d'être dit… Ce serait donc vraiment ça ?

 

Lendemain après midi. Fin du stage :

 

J'ai encore en tête la journée de la veille... Et si...d'autres pensaient la même chose de moi ? Cette pensée est tellement envahissante que j'ai l'impression d'être mise à nu. L'impression que tout le monde le sait...

 

Bilan avec le tuteur de stage :

 

Elle doit forcément savoir...Alors je lui demande le plus naturellement du monde si tout va bien, si je ne lui ai pas paru bizarre et lui fais promettre d'être honnête avec moi. Voici sa réponse :

 

« Comme tu le sais, je travaille à mi temps dans un CRA. Je t'observe depuis que tu es arrivée. Premièrement, ton regard...ça part dans tous les sens ! Ensuite, tu es comme... à côté de tes pompes. Tu es là mais... tu n'es pas vraiment là. Tu regardes partout, tu as l'air ailleurs. Il y a une gêne immense que l'on ressent chez toi, une incertitude constante... Tu as du mal à exprimer ton ressenti, c'est confus... Tu as du mal à t'intégrer. Parfois, tu n'es pas vraiment appropriée, tu ne sais pas où est ta place...Pourtant malgré tout, tu as des connaissances qui dépassent la seconde année de formation... »

 

Il n'y a aucune malveillance en elle. Je le ressens. Je me mets alors à pleurer... à lui dire que ça a toujours été comme ça, exemples à l'appui. Je lui parle de la conversation que j'ai eue la veille avec Laetitia, la psychologue... Je lui demande si... c'est bien ce qu'elle pense elle aussi ? Voici sa réponse :

 

« Depuis la seconde même où je t'ai vue arriver, tu m'as fait penser à certains de mes patients Aspies, j'ai trouvé ça étrange. Donc je t'ai observée, par curiosité. Et plus je t'observais et plus effectivement tout allait dans ce sens... J'avais quelques doutes, mais il y a eu un événement en particulier qui a mis fin au doute. Donc oui, clairement pour moi, tu es Asperger. »

 

Le temps s'arrête. Je te connais, Asperger, j'ai lu énormément de choses à ton sujet, je te soupçonnais un peu depuis l'événement du congrès, de très loin je t'entrevoyais...Mais tu semblais encore trop éloigné de moi. Le reflet trop saillant, trop vif de certains de tes représentants dissimulait ta véritable couleur, te rendait intangible...et pourtant...

 

Asperger donc...Quelque part, aussi fou que cela puisse paraître, je le savais. Mais que ma tutrice de stage, spécialiste dans le domaine, me le dise d'elle-même, sans parler de sa collègue la veille... C'est le choc.

 

"Par contre attention, je ne suis pas habilitée à poser un diagnostic. Je ne te livre que ce que je pense, à titre informatif. Pour moi, la probabilité est de l'ordre de 95%, mais ce n'est pas un diagnostic. Donc va te faire diagnostiquer. Tu es légitime dans ton futur métier, mais sois tout de même discrète..."

 

Tout se débloque alors dans ma tête. C'est une éruption volcanique. C'est comme... « voir la vérité » défiler à la vitesse de la lumière, exactement comme dans Full Metal Alchemist... Tout prend sens. Depuis mon enfance. Asperger. C'est un mot bleu turquoise. Le bleu turquoise est ma couleur. Je me reconnais en lui. Je suis lui...

Le mot prend alors la forme d'une silhouette bleue étincelante, celle d'un enfant qu'il me semble reconnaître. Je me sens entrainée et envahie par lui. L'enfant m'ouvre les yeux...

 

« Une porte s'ouvre »

 

...Et je réalise que je faisais semblant. Semblant d'être ce que je n'étais pas. De m'intéresser à des choses qui ne m'intéressent pas. Semblant d'être sociable et populaire, parce que c'est "cool". Imitais tout et tout le monde. Sans trop comprendre parfois. Adoptais des stratégies parfois bancales pour accéder aux groupes (mélanger tous les styles de vêtements pour logiquement attirer tout le monde, après étude minutieuse des différentes tendances...) Or... dès lors que l'on s'intéressait un peu à moi et que je commençais à fréquenter des groupes, je ressentais une gêne extrême, un envahissement, à me demander ce que je faisais là, ce qui m'avait pris... Me repliais. Cessais d'aller aux soirées. Devenais mutique parfois. Dès que je commençais à être obsédée par un sujet, à avoir besoin d'une routine précise, je me laissais aller, puis niais le tout catégoriquement car je voyais bien que personne ne faisait cela, car je savais jusqu'où je serais capable d'aller dans ces "travers", que je serais capable de m'y perdre totalement, de ne plus aller en cours, de ne plus parler à personne à part aux personnes "concernées" par mon obsession etc.

...Et je finissais par sombrer dans la dépression, « sans raison ». Les crises se faisaient de plus en plus nombreuses. Puis une fois passées, la honte m'envahissait.

Depuis quand? Impossible de le déterminer avec exactitude. Et c'est bien cela qui m'effraie. Peut être depuis toujours. J'ai toujours eu l'impression de me freiner, de me brider. Depuis petite. Parce que je me faisais peur. Mes obsessions me faisaient peur. Mes sens me faisaient peur. Mes réactions me faisaient peur. La peur bien souvent m'envahissait.
 

L'enfant bleu turquoise me faisait peur.
Aujourd'hui, je peux dire qu'il m'a manqué...

 

 

 

Publié dans Prise de conscience

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Z
C'est marrant moi aussi je vois le mot asperger bleu turquoise. Je ne savais pas que c'était la couleur choisi pour le représenté. <br /> Je découvre en détail ce symdrome depuis peu et ton blog est une vraie mine d'informations. Je te remercie beaucoup pour tout ça.
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