"Moi, Asperger? Il y a erreur!"

Publié le par Luserina - Le Temple Bleu

Après être passée par toute une palette d’émotions plus ou moins intenses et paradoxales suite au diagnostic, émotions m’ayant poussée à m’absenter un moment, j’ai décidé de revenir parler de ce que l’on peut ressentir après s’être vu poser un diagnostic d’autisme, de parler de cette phase un peu étrange, plus ou moins longue, qui succède au choc de l’annonce, qu’elle soit vécue comme positive ou négative. Une phase d'instabilité où se mêlent déni, déprime et acceptation, ainsi que d'autres sensations qu'il m'est impossible de qualifier.

Il s'agit d'un article pour tenter d'aider, de rassurer ceux et celles qui doutent ou qui traversent une période similaire.

Ce que je peux vous dire, c'est qu'un diagnostic d’autisme, c’est tout sauf anodin. Ça reste quand même un diagnostic médical, pas "le dernier truc super-cool à la mode". On ne déconne pas avec l'autisme.
 

Ce que l'on vit

 

Dans un premier temps, ça chamboule tous les repères. On avait jusqu’alors une vague idée de qui l’on était, pour beaucoup un ou plusieurs faux-selfs autour desquels on s’était construit tant bien que mal au fil des années. C’était un repère. Foireux, certes, mais un repère quand même. Et Dieu sait que les repères, c'est important pour nous autres. 

 

Après le diagnostic, vient souvent le temps des prises en charges diverses (psychiatre, psychologue, neuropsy...) et de la redécouverte, de la reconstruction vertigineuse de soi…

 

Eh ouais, à force de faire ma "Pocahontas geek-métalleuse de Laponie finlandaise" ou je ne sais quoi, bah je ne savais plus du tout qui j'étais vraiment derrière ce masque ridicule, ni ce dont j'avais réellement besoin.

 

Toute une vie à fusionner avec mes intérêts spécifiques. Toute une vie à confondre ce que je voulais être avec ce que j'étais vraiment...

 

Les obstacles, les malentendus, le parcours de vie tout court prennent d’un seul coup tout leur sens. Et ça non plus, cela n’a rien d’anodin. C'est une révélation majeure, qui fait l'effet d'un vortex cérébral. Un immense bazar suivi d'une réorganisation nécessaires. C'est pour beaucoup tellement intense que le risque (élevé) est de tomber dans une sorte de ressassement perpétuel, majoré par notre propension à tourner en boucle sur un même sujet...

 

C’est négatif dans le sens où on apprend qu'on va devoir composer avec jusqu’au restant de nos jours, qu'on ne pourra jamais vraiment "ne pas se prendre la tête avec les relations sociales", qu'on ne pourra jamais être complètement à l'aise avec, car le décalage, les difficultés sont réels. Ils deviennent même davantage "quantifiables" avec le temps et le cumul des expériences. Il nous faut donc au contraire redoubler d'attention. On réalise qu'effectivement "ce n'est pas les autres, c'est nous".

 

C’est positif dans le sens où cela peut apporter une nouvelle lecture à nos échecs et à nos réussites, dans le sens où on comprend enfin POURQUOI. Ça porte un nom, c'est documenté, nous ne sommes pas seuls. Certes c'est nous, mais ce n'est pas notre "faute". Nous sommes faits ainsi. Et c'est aussi un peu "les autres", la société encore trop peu informée, son rapport à la différence, etc.

L’acceptation est alors l’étape la plus difficile. Non, définitivement, tout n’est pas simple.

 

La claque (à retardement)

 

Cet été, j'ai fait un stage. Je pensais que tout se passait pour le mieux. J'étais stressée, désireuse de bien faire, tout en économisant mon énergie afin de tenir le coup. Comme d'hab' quoi. Une semaine passe et mon maitre de stage souhaite s'entretenir avec moi. La suite, je vous la donne en mille :

 

"On dirait que tu n'es pas concernée, que tu es totalement indifférente, à côté de tes pompes. Tu souris pas, tu regardes pas et surtout, tu as l'air hyper gênée, incertaine. Et puis...on dirait que tu n'as pas conscience de l'espace personnel de l'autre, de certaines limites (exemples pas franchement glorieux à l'appui, mettant en jeu la théorie de l'esprit, les codes sociaux et tout le tralala...)"

 

"Regarde, je te montre. C'est comme si moi, je te faisais ça...Tu vois ? c'est pas correct."

 

Et effectivement, il y avait bien quelque chose qui merdait. Mais avant qu'on ne me le présente ainsi, jamais je ne l'aurais vu.

 

...Le genre de chose qui retourne le cerveau. De réaliser à quel point mon comportement, celui que j'ai toujours eu, est décalé et que si l'on ne m'avait pas fait la remarque, je ne m'en serais certainement jamais rendu compte. Me revoir faire ce qu'on m'a reproché en d'autres circonstances. Faire le lien avec les mauvaises expériences passées, les mauvais retours sans explications.

Se reprendre son autisme en pleine face.

Suite à cet incident, j'ai vécu une période de déni vis à vis de mon syndrome d'Asperger. Le retour du boomerang qui fait bien mal.

 

"Quand même... j'en suis pas à ce point...Si?"

 

Se situer est à mon sens la plus grande difficulté.

Il est difficile de cerner à quel point on est vraiment différent des autres. Jusqu’à quel point l’on pense différemment par exemple ou au contraire jusqu'à quel point nos pensées peuvent converger. Est-ce que celui, neurotypique ou non, qui me dit que c'est "pareil pour lui" vit vraiment la même chose que moi au fond, avec la même intensité? Souvent, en creusant, on s'aperçoit que ce n'est pas vraiment le cas. Le plus souvent d'ailleurs, c'est une histoire de seuil de tolérance, de sensorialité, ou encore d'utilisation du langage. Je pense à l'utilisation bien plus fréquente de mots utilisés comme exagérations ou métaphores chez le neurotypique, qui fait consensus entre eux, alors que ces mots traduisent littéralement notre ressenti (pas d'exagération, par exemple) quand on les utilise. Parfois, oui, c'est un peu le cas. Et alors?

 

J'ai un mal fou à imaginer que l'on puisse fonctionner différemment de moi. Mon fonctionnement, c'est ma norme, selon laquelle il est totalement anodin de penser en images ou en abstractions plutôt qu’en mots, de visualiser littéralement, au "1er dégré" toutes les expressions, les images et les métaphores ou de planifier la moindre de mes interactions…Ma confusion sociale et ma fatigabilité extrême? Bof. Mon inflexibilité et mes mono-obsessions? Rien qui fasse de moi, selon moi, une "vraie" aspie. "Tout le monde est fatigué, stressé, à cran après une interaction sociale qui s'éternise ou au moindre imprévu, pas vrai?". Je totalise des scores de dingos à tous les questionnaires aspies présents sur le web, qui "semblent avoir été créés pour moi"? Une docteure en neuroscience du CRA m’a certifiée, 25 tests à l’appui que j’étais aspie et que je ne pouvais rien être d’autre? ...Je suis incapable d’avoir l’air "tout à fait normale" dans certaines situations, au point où cela me porte préjudice? Pas suffisamment convainquant à mon goût. Les traits présents dès l'enfance?

 

"Tous les enfants sont un peu comme ça, non?"

 

Tous les enfants sont "un peu comme ça", dans le sens où ils vont avoir un ou deux traits, où une anecdote va être partagée. Ils ont tous une, deux voire quelques petites pièces du "puzzle de l'autisme". Par contre, seuls les enfants qui semblent cumuler suffisamment de pièces de ce puzzle pour qu'on en distingue la forme, sont diagnostiqués autistes, pour peu qu'on sache la reconnaitre, cette forme.

 

A la recherche de preuves...

 

Et puis non... je ne peux pas être autiste... c'est pas possible...Tiens, il y a ces souvenirs, là, qui contredisent tout !

 

Me reviennent alors, comme des tentatives d'autodéfense de mon esprit, plusieurs souvenirs, d’avoir adoré les bals de village étant gamine. Mais genre vraiment. Totalement hystérique, à sautiller partout, à chanter à tue tête et à ne plus vouloir que ça se termine. Assez intense, le truc.

 

Humm… Pas très "compatible aspie" tout ça, dis donc!

 

C’était THE poil dans l'oeuf, THE détail qui tue et qui selon moi faussait absolument tout le reste, me privant de toute légitimité. Vous savez, l’histoire du "tout blanc ou tout noir". L' esprit binaire dans toute sa splendeur...

Tiens, au passage, petite anecdote marrante fraîchement remémorée par ma mère. J'avais 10 ans et ma mère m'a dit "L., arrête de chercher le poil dans l'oeuf..." (moi ? Pinailler sur des détails ? NooooOOooon, jamais. *ironie*) Je lui ai alors répondu : "Mais Maman, n'importe quoi ! Y a pas de poils dans les œufs !". Bien entendu elle a rigolé, elle m'a expliqué que c'était une façon de parler, qu'il fallait que j'arrête de prendre les choses au premier degré, etc. Quelques jours après, elle m'a fait des œufs brouillés. Et qu'est ce que j'ai fait? … Bah dans le doute, j'ai cherché les poils, pardi !

 

Bref. Concernant les souvenirs festifs, il ne m’en a pas fallu davantage pour re-sombrer dans la même période de profond questionnement qu’avant le diagnostic. J’ai ainsi relu TOUS les sites traitant d’Asperger, lu 2 fois le guide complet de Tony Attwood, refait TOUS les tests, suis retombée dans l’obsession jusqu’a m’en rendre malade, à la recherche désespérée d’UN témoignage de jeune aspie (fille ou garçon) qui aurait aimé ce genre d’événements étant enfant. Comme tiraillée entre le déni/la fuite et le désir d'obtenir des preuves irréfutables de mon autisme. Un état assez paradoxal, "borderline" (aucune allusion ici au trouble de la personnalité du même nom. J'utilise le terme au sens premier, avec l'idée d'un entre deux/d'une frontière). Bref, un... truc... franchement déroutant.

Une part de moi veut se défendre contre le diagnostic et déclenche une sorte de "mécanisme auto-immun",  tandis qu'une autre part, majoritaire, ne demande qu'à l'embrasser, l'accepter et aller de l'avant. Et ce mécanisme lui fait franchement mal...

 

J’en parle donc à monsieur le psychiatre (non)spécialiste des TSA, mais qui s'y connait vachement quand même, qui s’occupe de mon suivi post-diagnostic, quasiment persuadée que lui aussi a des doutes me concernant. Bah ouais hein. J'ai des doutes, donc il en a. Il en a, c'est d'ailleurs pour ça que j'en ai. PAYE ta théorie de l'esprit.

Luserina apprend "autodérision".

(Spoiler : il n'a jamais douté.)

 

- *Rires* voyons, L. Vous n’êtes pas sérieuse! Pas de ça avec moi hein! Non, clairement on est dans le TSA, ça ne fait aucun doute. Il va falloir l’accepter maintenant. Vous aimiez ces soirées. Bien. Et alors? Tous les autistes sont différents. Certains sons, expériences tactiles ou autres qui vous rendent malade vont plaire excessivement à un autre. Ça dépend des sensibilités de chacun. Et puis qu’est ce que vous aimiez durant ces soirées?

- Bah… Regarder les gens qui dansent, les lumières, l’ambiance générale, certains lieux plus que d'autres…ça m’excitait beaucoup. Et puis la musique aussi. J’aimais bien, c’était toujours les mêmes morceaux d’un bal à l’autre. J’adorais les spectacles en général, et c’était comme un spectacle.

- Et il y avait des copains ou d’autres enfants?

- Euuuuh…peut être d'autres enfants, une ou deux fois, mais je n’en ai aucun souvenir précis.

- Non, franchement, arrêtez de douter.

 

Formidable, docteur! J’arrête donc de douter et de chercher des preuves ou des contre exemples dans chacun de mes agissements…

 

...Non je déconne xD

 

J’appelle donc ma mère pour lui demander plus de précisions au sujet de ces fêtes et pour lui demander au passage si j’aimais les anniversaires etc, parce que j'en ai pas trop de souvenirs. Et parce qu'en bonne frontale que je suis, le discours catégorique d'un type qui a un BAC + 10 en psychiatrie et une moitié de patientèle autiste, ça suffit pas à me défaire de mon doute obsessionnel.

Sa réponse? Catégorique :

 

"Ouh là, non. Alors effectivement les grosses soirées dansantes où il y avait peu d’enfants, tu aimais bien, tu faisais la folle dans ton coin, tu gesticulais etc. Par contre, les anniversaires, c'était pas ton truc. Tu disais "y a trop de monde, j'ai pas envie". Quand tu y étais, tu voulais vite rentrer. Pour fêter les tiens, c'était surtout moi qui insistais et la seule chose qui t'intéressait, c'était les cadeaux.

Le pire, c’était les soirées pyjama. Tu partais en crise et il fallait venir te chercher. Tu réclamais ta chambre. Et quand une copine dormait dans ta chambre, tu te levais en pleurant pour aller dormir seule dans une autre pièce "parce que tu voulais être seule."

Après, même si tu ne tenais jamais très longtemps ce genre d’événements, tu essayais à chaque fois. De l’extérieur, on aurait dit que tu t'"acharnais" parce qu’il "fallait le faire" ou parce que tu l'avais lu dans tes magazines."

 

Et effectivement ça m’a fait réaliser que tout ce dont je me souvenais de "social" durant ces festivités (si tant est que cela ne soit pas de faux souvenirs) devait représenter les deux fois, sur je ne sais plus combien, où j’avais réussi à jouer avec un autre enfant et où ça se passait à peu près bien, événement que je vivais comme quelque chose d'intense.

Sinon, je me revois effectivement supplier de rentrer, me sentir mal à cause du monde ou des jeux collectifs, parfois tenter de socialiser avec n’importe quel enfant présent à coups de "Bonjour. Tu veux être mon ami ?" et puis m'en foutre royalement.

Je me revois parfois pleurer parce que ce jour là, je veux vraiment "socialiser" mais ça ne fonctionne pas, parce que ce que proposent les autres enfants, "c'est nul" et qu'ils ne veulent pas faire exactement ce que je leur dis, avant de finir par m’isoler, passer 95% des bals à profiter en solitaire d’une expérience multi-sensorielle, propice à stimuler mon imagination, ma synesthésie...

 

Renoncer à la certitude absolue...tout en arrêtant de douter.

 

Et puis au final...Je finis par me dire que cette époque est tellement lointaine qu'il est impossible de la retracer avec exactitude et que les quelques éléments fiables dont je peux disposer (témoignages qui se recoupent, souvenirs précis) ont suffi à convaincre les professionnels pour qu'un diagnostic soit posé. 

Poser un diagnostic, c'est faire le choix le plus plausible parmi plusieurs hypothèses. C'est choisir "ce qui explique le mieux le comportement, les difficultés, les particularités d'une personne" parmi d'autres possibles. Des professionnels ont estimé que le syndrome d'Asperger était le "modèle" qui correspondait le mieux à mon profil et je suis en accord avec cela. C'est plus que suffisant.

Il y a un modèle, le SA, qui correspond aux personnes concernées, et ce davantage (ou autant s'il y a cumul) que les TOC, le haut potentiel, les troubles de la personnalité, la schizophrénie, la dépression, l'anxiété, la phobie sociale etc.

 

Alors qu'il existe un autisme type, l'autiste type n'existe pas.

 

 

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C
Tiens, je ne l'avais pas lu jusqu'au bout celui-là.<br /> Ou alors j'avais zappé la dernière phrase....<br /> <br /> Pas simple le chemin de l'acceptation non plus. Step by step...
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