Des repas de famille

Publié le par Luserina - Le Temple Bleu

Fifi et l'omelette pascale

(Remarque totalement inutile : c'est marrant, on dirait le titre d'un livre pour enfants...xD)

Au moment où j'écris ces quelques lignes, nous nous situons temporellement dans cette période de Pâques particulièrement propice aux rassemblements familiaux intempestifs (et récalcitrants.) Vous savez ? Ces moments « sympa » mais « un poil trop longs » et « parfois embarrassants », les sujets de conversation et les questions récurrents, le petit cousin au 3ème degré qu'on n'aime pas trop mais qui est là quand même, les quelques verres de trop, les débats controversés et enflammés et les proches non-participants autour qui ne savent plus où se mettre...Pâques donc. Je suis athée, je déteste l'omelette pascale et puis le chocolat, j'aime bien, mais juste un carré de temps en temps. Dommage.

En ce samedi, je suis bonne pour traverser la France à coups de 9h de train + 3 changements + des retards, des enfants qui ont bien choisi leur moment pour tester leurs capacités phonatoires en intensité et en endurance, le voisin qui ronfle et dont l'haleine m'expose en pleine face la totalité de son repas de midi, la masse de passagers se ruant vers la sortie, embouteillant de ce fait l'allée centrale, déjà exiguë, les vibrations, les bousculements (beurk!), les appels au micro au son infect... autant de sévices donc, pour rejoindre la maison familiale.

Je rêve de mon jogging tout doux, de ma chambre bleue, de mes livres, de mes jeux vidéo et de mon lit bien moelleux. Mon programme est déjà tout établi.

Or, à 20 minutes de mon arrivée, « horreur, malheur », ma mère m'appelle. «Tu n'as pas oublié l'anniversaire de trucbidule à machin-sur-mer, n'est ce pas ? On vient te chercher avec tata et on rejoint tout le monde à la grillade ! C'est cool non ? »

Et paaaaaf, a pu programme. Usurpé par ce nouveau schéma. La petite bulle éclate. J'ai 20 minutes pour me le représenter mentalement. * mise à jour système *

  • Je sais déjà qui vient me chercher, où et à quelle heure.

  • Le lieu, je le connais, c'est déjà ça. Je visite la maison dans ma tête, visualise la décoration, le jardin...Ok.

  • Lieux de « pause », de « refuge » : Ok.

  • J'envoie un SMS pour savoir qui sera présent. La «population », c'est bon. Il y en a que je n'apprécie pas particulièrement, mais dans le lot, il y en a que j'ai hâte de revoir. Parce que bon, crotte c'est quand même la famille. Ils sont neurotypiques pour la plupart, mais je les aime bien quand même.

  • Le repas : j'ai déjà mangé dans ma sandwicherie habituelle lors d'une correspondance, donc voilà une bonne excuse pour ne point m'attarder à table si la conversation ne m' « inspire pas », et il y a de fortes chances que ce soit le cas.

  • D'ailleurs, la conversation, parlons en : nous sommes à deux semaines du premier tour des présidentielles. C'est inévitable...Ça va parler politique. Prépare toi, ma grande. Tu vas bouffer du fifi, et du chonchon à tire larigot. Ah, et puis si l'envie te vient de parler d'autisme, par pitié, retiens toi... ça n'intéresse personne. Parle de tes études à la rigueur, parce qu'on va forcément te poser les questions d'usage (dont je me passerais bien) «Alors les études ? Ça va ? Ça te plait ? La ville te plaît ? Pas trop chaud/trop froid?». C'est dans ces moments-là que je rêve qu'une pancarte apparaisse comme par magie au-dessus de mon crâne avec la totalité de ces informations résumées pour ne plus être soumise à ce genre d'interrogatoire. "Oui, les études ça va, ça allait la semaine dernière, ça va toujours aujourd'hui. Oui, le copain ça va. Il ne fait pas trop chaud ni trop froid dans notre ville, et oui, j'ai maigri, j'avais remarqué." Non pas que ça m'insupporte, mais (si, un peu, faut l'avouer)...comment dire. La flemme. Surtout après 9 heures de train.

  • Pour finir, vers 17h, il va probablement falloir rentrer parce qu'untel devra partir dans ces eaux là et que, chose notable, le départ de l'un précipite et conditionne forcément le départ du reste des convives.

Programme de la journée revu et corrigé : check !

La réalité :

10 personnes à la tablée, un invité surprise non mentionné légèrement désinhibé et... 70% de blabla incompréhensible.

"Blablabla untel a refait sa cuisine, c'est beau ! Oh oui magnifique ! Blabla Fillon, blabla Macron..."

*absence prolongée* "Il est joli ton pull, tu l'as acheté où ? (…) * rires *"

Heure du gâteau. Tout le monde chante : "Joyyyyeuuuuuuux aaaaaaannniiiiiiveeeeerssssaiiiiiiire untel !!!!". Comme d'habitude dans ces moments là, particulièrement embarrassants où je suis parcourue d'un large frisson de gêne, je me contente de remuer les lèvres ou simplement de sourire (voire carrément de rire nerveusement,) sans qu'aucun son ne sorte de ma bouche. Et je me dis qu'untel chante faux, un autre trop fort, pas dans le rythme etc. ça fait passer le temps, et puis ça m'amuse. La conversation reprend de plus belle. Je souris, fais mine de suivre en lançant des "aaaaah !" des "oooooh !", "oui !!!!" et en hochant la tête, en m'aidant des réactions de ma mère et d'autres convives. Un peu comme à la danse... ce moment où tu as oublié la chorégraphie et où tu imites tes camarades le plus furtivement possible...jusqu'au trop plein de mouvements et de stimulations.

"Blabla il faut voter untel ! Tous les gens bien votent untel !" Sachant qu'en ce moment, mes opinions politiques se résument à :

                                              Voilà, cette image m'a fait hurler de rire xD

* Rire particulièrement strident* Ok. Là c'est too much. J'attends cinq minutes bien calculées histoire que personne ne fasse le lien entre un agacement éventuel et mon départ de la tablée. Et je vais faire un tour dans le jardin, prétextant une pause "vapote". Oh joie. Des fauteuils à bascule ! Je m'assieds et me repose un peu, en évitant toutefois de trop me balancer pour ne pas éveiller les curiosités, bien que l'envie soit présente. Pendant ce temps, les invités se lèvent de table et discutent debout, dispersés dans la pièce. Ça papote. Je me suis toujours demandée comment ils faisaient pour trouver tant à se dire, de façon aussi rythmée (les blancs ne durant jamais plus de 4 secondes, j'ai compté) , tout en n'ayant au final pas grand chose à dire. Ce n'est pas une critique, c'est un réel objet de fascination.

Une invitée (que je n'arrivais pas à me remettre), discute d'une connaissance avec tel trouble neurologique. Tiens, ça m'intéresse ! Faut que je lui parle. Là pour le coup, c'est plus fort que moi, j'ai envie. Faut que je lui explique que c'est dû à telle fonction, faut que je lui parle de plasticité cérébrale et de remédiation cognitive. Elle est toute ouïe. Et là... c'est le drame.

Je ne sais plus comment (en fait, si, c'est parfaitement logique), mais la conversation dérive inéluctablement vers ZE sujet TABOU number one à éviter absolument : l'autisme.

Intérêt spécifique => logorrhée => open bar, no limit, yolo, tout ce que tu veux. Mode speech aspie = on.

Et puis tout en parlant, j'ai honte. Ça sort tout seul. Bon, mon interlocutrice ne regarde pas derrière elle pour voir où et quand fuir, c'est bon signe, mais tout de même.

*Voix intérieure* "Pfff... tu parles vraiment trop. Et trop de ça. Change de disque, nom de Zeus, tu t'auto saoules !"

Et puis vient l'heure du départ. Oh joie !!! Mon lit ! Mon ordi et mes jeux ! Ma chambre ! Le silence ! La pause café/vape de 21h avec ma mère !

Au final, je suis ("légèrement" épuisée...mais) tout de même ravie de rentrer en terres connues et de retrouver le cocon familial. Car, non, être aspie, ce n'est pas (forcément) être une rustre sociopathe (de haut niveau)! ;) 

 

 

Publié dans Anecdotes

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