Du droit d'être un aspie heureux
Partout sur la toile, dans les média, se multiplient les articles informatifs, sensibilisants, scientifiques autour de l'autisme. « L'autisme, maladie/pathologie/handicap touchant une personne sur 100... », « x, souffrant d'autisme... », « le fléau de l'autisme », « guérir de l'autisme »...
L'on y retrouve allègrement le champ lexical du handicap, de la maladie, de la souffrance... C'est un fait. Beaucoup d'entre nous souffrons, par moments, de notre condition. Nous en avons parfois ras le bol de ne pas saisir les implicites, de ne les saisir que lorsqu'il est déjà bien trop tard, ras le bol aussi de l'anxiété généralisée associée dans de nombreux cas. De ne trouver les mots que quelques heures après une conversation, d'exploser au moindre imprévu, de ne jamais être rappelé pour du travail...
Oui, parfois c'est vrai, nous sommes handicapés. Parfois c'est vrai, je déteste être autiste. Et pendant bien longtemps, bien avant mon diagnostic, j'ai souhaité être normale.
En entreprise, en classe, dans une grande ville, dans une fête improvisée, je me sens effectivement handicapée. J'ai été contrainte d'abandonner un projet professionnel inadapté du fait de mon autisme, sans savoir que j'en étais porteuse, avec toutes les difficultés et le vécu ayant pu mener à ce constat. A cette époque, je peux dire que je souffrais réellement et qu'un soutien de la part d'un professionnel n'aurait pas été de trop.
En revanche... lorsque je marche avec ma musique, lorsque je suis dans mon appartement, dans mon bar habituel, lorsque je joue, quand je fais des recherches ou travaille sur un sujet qui me plait et dans un environnement propice... je me sens parfaitement bien et surtout, en parfait accord avec moi-même.
Tout ceci m'a enseigné une chose : le principal, que l'on soit autiste ou non, est d'organiser sa vie en fonction de qui l'on est et de ne point se malmener. Trouver sa voie n'est-il pas l'affaire de tout un chacun? Certes je n'ai pas pu mener mon projet initial, par instinct de survie, mais aujourd'hui, je ne le vis ni comme un échec, ni comme une dure fatalité (c'était le cas auparavant). Qui que l'on soit, l'on se trompe, l'on fait de mauvais choix, l'on tâtonne...Certains hésiteront plus longtemps que d'autres, auront plus de difficultés que d'autres, mettront plus de temps à obtenir leur indépendance. Nous autres par exemple avons significativement moins d'endurance, plus de fatigabilité, moins de tolérance au stress et à l'imprévu. Nous sommes moins équipés pour faire face à certaines situations que l'on dit "normales". Cela étant, pourquoi ne pourrions-nous pas trouver notre voie, mener nos projets de vie autrement, de façon adaptée, et être heureux? Qui a décrété qu'à 24 ans, il fallait avoir son permis, un diplôme, un emploi, et un projet de vie solide pour être bien "aux normes" et heureux dans sa vie ? Où est-ce écrit ?
Loin de moi l'idée de me mettre en avant en tant qu'autiste qui a réussi dans la vie ou dont le futur est radieux. Soyons réalistes. J'approche lentement mais sûrement de la trentaine, j'ai eu mon bac il y a 10 ans, je suis toujours étudiante, quasiment sans expérience professionnelle, sans permis de conduire, totalement dépendante financièrement, incapable de tenir un job étudiant, incapable d'être assidue en cours à cause de la fatigue que cela engendre et j'en passe. Certes, je suis en couple depuis 2 ans, mais sans tomber dans le misérabilisme, on a vu meilleur exemple de réussite flambante selon les critères sus-mentionnés. Quant au futur, il peut paraître rose à l'instant T (ce qui n'a absolument aucun sens à bien y réfléchir), mais la vie étant faite d'imprévus, qui me dit qu'il le sera réellement ? En théorie, les conditions sont réunies et favorables, mais il ne s'agit que d'une approximation. Car j'ai appris à mes dépens que tout pouvait arriver.
Voilà pour la partie sombre. Car oui, en dépit de tout, je suis optimiste. Et oui, cela ne plaira sans doute pas à tout le monde, mais je suis "satisfaite" d'être aspie, tout autant que je suis satisfaite de n'être ni trop grande ni trop petite. Cela me convient. Pour rien au monde je ne voudrais prendre un "traitement" pour éradiquer mon "vilain autisme qui me fait souffrir", car c'est faux, il ne me fait pas souffrir. Ou plutôt, ce n'est pas majoritairement lui qui me fait souffrir. C'est mon environnement du fait de ma condition. La souffrance est en grande partie sociétale, environnementale. Ce qui est, à mon sens, foncièrement différent, mais cela n'engage que moi.
Les articles sur le sujet s'accordent à dire que l'on souffre d'autisme. De par ces mots, lus, entendus à longueur de journée, j'ai comme l'impression que l'on essaie de me dicter ma façon de me ressentir...
Pourquoi devrions-nous forcément être malheureux du fait de notre état ? Alors c'est ainsi ? Autisme et bonheur seraient deux termes antinomiques ? Être autiste nous condamnerait à un état de non-épanouissement ? Certains en souffrent, vivent mal leur état, leur diagnostic, d'autres non. Ce n'est pas une règle universelle.
Comme beaucoup d'adultes diagnostiqués tardivement, j'ai vécu en ignorant que j'étais autiste. Je me suis donc construite avec ce large pan de mon esprit, cette "bizarrerie" sans nom pour user d'un euphémisme, qui faisait partie de mon quotidien. Le fait qu'elle n'avait pas de nom, cette "bizarrerie", cette différence, c'est ce qui la rend en partie douloureuse. C'est douloureux d'être constamment qualifié de "normal par défaut" tout en étant rejeté pour "un je ne sais quoi" de palpable, qui pourtant nous écarte bel et bien de la norme. Ce je ne sais quoi, c'est une partie de notre identité. Jusqu'à la lumière du diagnostic, elle est un point d'interrogation constant. Une case manquante. Quelle est cette chose qui prend tant de place, qui me qualifie et qui semble décider de ma place sociale? Ce qui n'a pas de nom ne saurait exister et pourtant... elle existe.
Elle fait partie de qui je suis. J'ai vécu à ses côtés des instants de doutes, d'incertitudes, de franche dépression, mais aussi des moments de fierté et de joie. Si je devais tout recommencer et que j'avais le choix d'être ou de ne pas être Asperger, eh bien, avec brève réflexion, je ne changerais rien.
Quand je lis partout que l'autisme est une maladie, quand je lis que certains vaccins ou les écrans causent l'autisme, quand je lis qu'il doit être combattu ou guéri par tous les moyens, j'y vois la négation, le mépris total d'une grande partie de qui je suis. Et ÇA, ça fait souffrir.
Je ne suis pas spécialement "fière" de mon état, même si dans un précédent article, j'ai écrit à ce sujet. Le terme était assez mal choisi. Oui, ça me convient. Même si parfois j'ai des meltdown, des shutdown, des surcharges et tutti quanti. Suite à mon diagnostic, j'ai fait le choix d'organiser ma vie en fonction, en me respectant. Je suis autiste? Challenge accepted.
Plus satisfaite que fière donc, même si quelque part, j'apprécie tellement les aspies que je connais que oui, pour la première fois de ma vie, je suis en quelque sorte "fière de faire partie de la famille". C'est quelque chose de relativement nouveau pour moi.
Pour avoir rencontré beaucoup de personnes autistes et lu beaucoup à ce sujet, oui, quelque part, je suis fière de nous. En dépit de tout, je perçois ce qu'il y a de beau en nous tous. Je perçois nos forces autant que nos faiblesses...L'on dit souvent que les autistes manquent d'adaptabilité. Or...je perçois justement la grande faculté d'adaptation que nous possédons. Car oui, nous nous adaptons en permanence au monde pas franchement accueillant qui nous entoure. Nous nous adaptons tous les jours aux changements infimes que nous percevons, aux imprévus qui nous bouleversent, à toutes ces choses que beaucoup de neurotypiques savent filtrer... Les surmonter nous demande un sacré effort, mais nous y parvenons tant bien que mal. Preuve en est, nous sommes toujours là. Est-ce forcément du déni ou de l'anosognosie que d'être optimiste ?
N'avons-nous pas le droit d'être autistes, Asperger et fiers de l'être ?